Jeudi

Je tente de dépasser le 100 km/h en 2CV en traversant Maugron, petit village rural de Gascogne, conduisant ivre de vitesse à travers les serpents étroits des routes communales un peu crades. Je suis avec un ami en passager, et celui-ci commence à regretter de m'avoir laissé le volant.

Le choc était inévitable.

Je me vois accidenté, mortellement blessé, le tronc coupé en deux par le moteur chauffé à blanc, la voiture transformée en nue compression de César, furieusement esthétique, mêlant le rouge de la carrosserie avec le rouge plus sombre du sang qui a giclé sur l'herbe grasse et encore humide de rosée. Ecrasé sous la violence du choc, je fais défiler ces deux petites dizaines d'années vécues, sous-vécues la plupart du temps. A quoi ressemble un sacrifice inutile ? A du gâchis. A quoi ressemblait ma vie avant ? A du gâchis aussi. En fait, mourir pour moi, c'est vraiment kif-kif.

Revenu à moi, je décélère car je préfère vivre finalement. Sage lâcheté. Je gare la voiture près du champ périphérique. Je m'y allonge. Je crois que je viens de survivre à la mort, une fois de plus. Pour moi, c'est devenu ça, survivre : vivre à n'importe quel prix, même celui de l'immolation des idéaux et de sa fierté. Sous-vivre, c'est vivre en deça de son potentiel de courage : c'est paraître fier et arrogant quand on est en réalité moins vivant qu'un caillou. C'est se croire un homme quand on vit comme un animal. C'est se croire anhistorique et immortel, alors que l'on est seulement inutile et ordinaire. Il existe pire que le mal : le néant.

Sous-vivre, c'est se néantiser, sans autre échappatoire que le toujours-plus-médiocre. Ma 2CV est rouge. Je dois faire ma crise de la vingtaine.

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